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« La rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre du départ de Félix Eboué (1938) à la fermeture de l’usine Darboussier (1981) »
La soutenance publique s’est tenue dans la salle du Conseil, Département pluridisciplinaire de Lettres et Sciences humaines, campus du Camp-Jacob – 97120 Saint-Claude, devant le jury :
Mme BEGOT Danielle, Professeur émérite, Université des Antilles et de la Guyane ;
Mme BERNIE-BOISSARD Catherine, Professeur, Université de Nîmes ;
Mme FOURCAUT Annie, Professeur, Université Panthéon-Sorbonne Paris 1 ;
M. SAINTON Jean-Pierre, Maître de conférences HDR, Université des Antilles et de
la Guyane ;
Mme VOLDMAN Danièle, Directeur de recherche émérite, CNRS, Université de Panthéon-Sorbonne Paris 1.
Cette thèse sur l'histoire de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre du départ de Félix Eboué (1938) à la fermeture de l'usine Darboussier (1981) fait suite à des recherches historiques entreprises (2008-2013) dans le cadre d'un master au sein du laboratoire de recherche Archéologie Industrielle Histoire et Patrimoine de l'université des Antilles et de la Guyane (AIHP-GEODE). Mémoire universitaire soutenu en 2008, sous la direction du professeur Danielle Bégot et intitulé : Pointe-à-Pitre (1928-1938) : le virage vers la modernité ?[1] Les recherches menées concernaient la construction du quartier de l'Assainissement commencée sous la gouvernance de Félix Eboué entre 1936 et 1938. Cette première opération d'urbanisme dans les faubourgs situés au nord de l'ancienne ville n'ayant pu aboutir, il fallut attendre vingt ans après le départ du gouverneur pour que soit décidé, à la fin des années 1950, le lancement d'une vaste opération de rénovation urbaine. Entre 1961 et 1981, la ville de Pointe-à-Pitre entre alors dans une nouvelle phase marquée par la planification urbaine et la production de masse de logements. À cette occasion, de nouveaux modèles d'aménagement urbain et de constructions industrialisées furent expérimentés. Il paraissait donc opportun de continuer, dans le cadre d'une thèse d'histoire urbaine, les recherches entreprises en master mais cette fois-ci pour la période allant du départ du gouverneur Félix Eboué, en 1938, à la fermeture de l'usine à sucre Darboussier (1981), le plus gros employeur de la ville, qui amorce un autre changement de la morphologie urbaine.
L'étude des rénovations urbaines en outre-mer n'a pas bénéficié d'autant de faveurs de la part des historiens qu'en métropole. Cette thèse d'histoire est l'une des premières qui concerne une rénovation urbaine menée dans un département d'outre-mer au cours des Trente Glorieuses. La première difficulté pour mener de telles recherches fut donc de combler le vide causé par l'absence de travaux historiques concernant d'autres opérations du même genre aux Antilles françaises. Et même si le sujet des rénovations urbaines dans les villes de métropole a déjà été traité par les historiens, leurs études ne nous renseignent guère sur celles qui se sont déroulées en outre-mer parce que les acteurs décisionnels ne furent pas les mêmes qu'en métropole et parce que l'application de la législation sociale et des règlements d'urbanisme métropolitains ne s'est pas faite immédiatement après la départementalisation de 1946, qui transforma les vieilles colonies en départements d'outre-mer.
Cette thèse veut donc contribuer à enrichir et renouveler le sujet des rénovations urbaines par l'étude de documents d'archives inédits extraits de fonds qui, pour la plupart, sont conservés aux Archives départementales de la Guadeloupe[2]. La deuxième difficulté a d'ailleurs été de maîtriser l'importance de cette masse documentaire, archives comprises. Les recherches se sont appuyées sur des dépouillements volumineux de sources très diverses, et d'emblée il est apparu nécessaire d'accompagner notre étude de nombreuses citations qui composent une sorte d'anthologie de la rénovation urbaine en outre-mer en mettant à la disposition des chercheurs des extraits des principaux règlements d'urbanisme qui y ont été appliqués, ainsi que les correspondances entre les responsables des administrations centrales et les acteurs locaux. Cette thèse est un outil pour comprendre l'histoire très complexe des rénovations urbaines menées dans les villes de l'outre-mer français. Elle est divisée en trois volumes. Le premier permet de comprendre le contexte historique et les causes de cette rénovation. Le second s'est attaché à décrire les moyens mis en œuvre et le troisième donne une restitution de l'organigramme des différents acteurs décisionnels.
Quels en sont les principaux résultats ? Les recherches ont démontré que Pointe-à-Pitre servit de front pionnier et de terrain de transmission en outre-mer des savoir-faire techniques et juridiques, des concepts urbains ainsi que de nouvelles formes architecturales. À cette occasion, une nouvelle vision de la ville et du mode d'habiter fut introduite en Guadeloupe. Pointe-à-Pitre devint une sorte de laboratoire de recherche d'idées nouvelles pour les acteurs de la composition urbaine dans les DOM notamment les Sociétés d'État ou les Sociétés d'Économie Mixte à qui l'État confia une compétence fonctionnelle pour aménager le territoire urbain. L'étude démontre que les organismes d'aménagement n'étaient pas les mêmes qu'en métropole et étaient spécifiques aux départements d'outre-mer. La rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre permit d'ouvrir de nouveaux marchés à des filiales de la Caisse des Dépôts et Consignations spécialisées dans la gestion d'opérations immobilières et d'aménagement des villes de l'outre mer. Le financement de la rénovation urbaine fut assuré en grande partie par l'Etat grâce à des subventions du FIDOM et des prêts de la Caisse Centrale de Coopération Economique aux collectivités locales concernées. Les différentes administrations centrales détenaient des parts du capital social de la société d'Equipement de la Guadeloupe (SODEG) et de la Société Immobilière de la Guadeloupe (SIG) qui furent chargées de la maîtrise d'œuvre et de la maîtrise d'ouvrage des opérations. Les recherches menées démontrent que ces deux sociétés détenaient le quasi monopole des opérations d'aménagement et de construction de logement dans la zone de rénovation urbaine.
Malgré l'avènement d'un urbanisme déconcentré, dès le milieu des années 1970, cette thèse montre le rôle important de l'Etat dans la mise en œuvre de cette rénovation au détriment des collectivités locales (Ville de Pointe-à-Pitre, Département) qui ne furent que très rarement associées aux prises de décision car souvent dirigées par des élus de l'opposition. Cependant, les recherches menées démontrent que la municipalité communiste de Pointe-à-Pitre, grâce à l'action d'élus du terrain comme Madame Georges Tarer, a permis la mise en place d'une politique municipale sociale et humaniste qui fit de son sénateur-maire, le docteur Henri Bangou, l'héritier de la politique initiée par le gouverneur Félix Eboué. Pour beaucoup de Pointois, le docteur Bangou reste considéré comme le père de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre parce que, dans ce vaste chantier à la taille et au financement démesuré, il mit tout en œuvre pour préserver les intérêts des habitants en permettant l'accès du plus grand nombre à la scolarité mais également aux loisirs et à la culture grâce à une politique municipale active envers les plus démunis notamment les personnes concernées par les opérations.
Cette rénovation urbaine qui prévoyait la construction de cités de logements collectifs ne fut ni plus ni moins que la reproduction, aux Antilles, de la ville fonctionnelle dont les principes avaient été énoncés dans la charte d'Athènes, dès 1933, créant ainsi un phénomène de mimétisme urbain forcé dans des contextes géographiques pourtant fort éloignés. Les recherches menées se sont attachées à démontrer que le modèle urbain importé a été entièrement dupliqué et qu'il n'a subi que très peu d'adaptation au moment de sa mise en œuvre si l'on excepte la prise en compte de la spécificité du climat tropical et des risques sismiques. Le choix d'un modèle architectural aussi étranger à la tradition vernaculaire relève des représentants du ministère de la Construction, notamment les architectes, et des représentants des autres administrations centrales, ainsi que des dirigeants de la Société immobilière de la Guadeloupe qui, après l'aménagement d'une cité-jardin au Raizet (1954-1958), ont définitivement abandonné le logement pavillonnaire pour se lancer dans la production de logements collectifs qui, à leurs yeux, constituaient à l'époque la seule solution pour faire face à la crise à la fois qualitative et quantitative du logement. La nouvelle municipalité communiste élue en 1959 à Pointe-à-Pitre soutient la construction de grands ensembles au cours des Trente Glorieuses. Cette solution présentait l'avantage de permettre à la ville, qui disposait d'une assiette territoriale très réduite, de garder l'essentiel de sa population et de ne pas perdre une partie de ses ressources liées à l'octroi de mer.
Cette thèse démontre que, comme en métropole, la ville moderne telle que la concevaient les architectes, mais également les élus locaux, était celle qui devait permettre aux populations les plus démunies d'accéder à un logement économique doté du confort moderne (eau potable, sanitaire, salle d'eau, cuisine intérieure) et de faire entrer l'air et la lumière dans les logements des plus pauvres afin de faire bénéficier au plus grand nombre des progrès de l'hygiénisme dans l'architecture et l'urbanisme. Mais aux Antilles cette modernité était également perçue par les populations comme le seul moyen de lutter efficacement contre les cyclones et les inondations qui avaient tant traumatisé les habitants de la ville lors des siècles précédents. Les tours et barres d'immeuble, ainsi que le béton appliqué aux constructions, sont devenus le reflet de la modernité et de l'ascension sociale. De nos jours, l'urbanisme et l'architecture des grands ensembles construits au cours des Trente Glorieuses font l'objet d'un rejet d'une partie de l'opinion publique, des politiques et des spécialistes de la ville sans que soit toujours pris en compte le contexte historique de leur genèse. En conséquence, l'étude s'est attachée à définir la représentation que les acteurs décisionnels se faisaient de la manière d'habiter la modernité et, tout autant, à saisir comment celle-ci était perçue et vécue par les habitants de l'époque. Les travaux réalisés ont démontré que l'image négative que l'on a aujourd'hui des cités construites au cours des Trente Glorieuses découle d'une histoire du logement qui a été mal comprise, et que nous ne pouvons comprendre l'histoire de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre que si nous nous remémorons les conditions d'existence difficiles des populations qui résidaient dans les anciens faubourgs situés sur des terrains non assainis. Cette nécessité d'écrire l'histoire des grands ensembles est d'autant plus urgente que ces derniers sont désormais voués à la destruction par les programmes de l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU), alors qu'au moment de leur construction ces logements répondaient à une urgence sociale et aux préoccupations des décideurs de l'époque. Il convient donc de ne pas négliger le consensus sur lequel a reposé ce type d'urbanisme, comme expression majeure du désir de modernité de la société antillaise d'alors.
Le titre de la thèse annonce une étude urbaine entre 1938 et 1981 mais l'absence de thèse d'histoire de Pointe-à-Pitre entre celle de Pérotin-Dumon[3] et celle venue en soutenance rendaient nécessaire de planter le décor des faubourgs, mais les études historiques sur lesquelles les recherches auraient dû s'appuyer faisaient défaut. Hormis les travaux de Bruno Kissoun[4], l'histoire des faubourgs de Pointe-à-Pitre n'a jamais été encore réellement écrite si ce n'est par les géographes, les anthropologues et les sociologues. Or, l'histoire même de ces faubourgs a contribué à la spécificité des villes aux Antilles françaises et donc de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre. Pour remédier à l'absence d'étude historique sur la population pointoise au XXe siècle, il fut nécessaire de reconstituer l'évolution démographique de la ville entre 1938 et 1981 afin de déterminer les caractéristiques et les spécificités des habitants de la zone de rénovation urbaine. L'étude démographique a démontré que les projections des démographes ont faussement influencé sur le type d'urbanisme et d'architecture prévu.
Les recherches ont également privilégié l'étude de la mobilité des habitants de la Guadeloupe pour démontrer, qu'après le cyclone de 1928, les migrations rurales vers la ville de Pointe-à-Pitre sont en partie responsables, comme en métropole et dans d'autres villes des Antilles, de la forte croissance démographique de la population urbaine et de la prolifération de quartiers d'habitat spontané qui ont rendu nécessaire cette rénovation. Les recherches menées s'inscrivent dans le même registre que celles qui furent menées en métropole et qui étudient la place des migrants des trente glorieuses dans l'histoire des résorptions urbaines. L'un des objectifs de cette thèse était de comprendre les rapports entre les migrants venus des campagnes et des citadins, souvent eux-mêmes d'anciens ruraux, dans un contexte d'appropriation d'un quartier voué à une rénovation. Les recherches se sont donc employées à déterminer l'origine des migrants et à estimer la part de ceux qui résidaient dans les faubourgs devant faire l'objet d'une rénovation grâce à l'étude statistique des listes électorales et suivant une méthode mise au point qui peut être transposable en Martinique. Ces recherches démontrent que le passage de la case aux immeubles en dur de la zone de rénovation urbaine posa une difficulté supplémentaire : celle de l'acceptation d'un nouveau mode d'habitat pour des populations devenues urbaines, mais qui étaient en majorité d'origine rurale. Ce passage signifiait un changement radical de mode de vie qui rendait désormais difficile l'entretien d'un jardin créole dont les familles tiraient pourtant une partie de leur approvisionnement quotidien. Les habitants de la zone de rénovation n'ont pas eu d'autre choix, à l'époque, que de vivre dans des « tours » et « barres » d'immeubles et, faute de mieux, ils n'osèrent trop protester. Beaucoup d'ailleurs ne purent y accéder en l'absence de revenus suffisants.
L'architecture internationale était inadaptée au mode de vie des anciens habitants des faubourgs, et l'erreur de jugement des aménageurs est d'avoir voulu dupliquer un modèle urbain totalement étranger et qui ne tenait pas compte des spécificités de la ville aux Antilles, car comme le soulignait déjà l'intellectuelle Anca Bertrand dans les années 1950 : « sous les Tropiques, la maison est un abri tandis que l'essentiel de la vie quotidienne se passe dehors[5] », notamment autour de l'habitation. Cette réalité explique pourquoi les parcelles viabilisées et les lotissements pavillonnaires connurent un franc succès dès qu'ils commencèrent à se multiplier au milieu des années 1970. Cependant à l'époque, les représentants de l’administration centrale, les élus locaux et les architectes ne percevaient pas le problème de la crise du logement de la même façon que les intellectuels. Pour eux qui décidaient, l'urgence était ailleurs que dans la prise en compte des particularités d'une population urbaine en majorité d'origine rurale. Pour les acteurs décisionnels, la priorité, c'était l'hygiène, la salubrité, le confort et le progrès pour tous. Mais pour accéder à cette modernité les habitants devaient accepter d'être décasés à la cité-transit de Lauricisque. C'est donc pratiquement sous ces différents angles que fut abordée la question de ceux qui ont vécu, accompagné, souhaité ou subi la rénovation, alors même qu'il aurait été utile de traiter d'autres aspects de cette opération et d'insister notamment sur les transformations de la société urbaine du point de vue socioculturel, de l'éducation et des mentalités.
Cette thèse a voulu rendre hommage aux concepteurs et réalisateurs de cette nouvelle ville, en dépit de son image aujourd'hui décriée, mais aussi à cette population pointoise confrontée à l'avènement, pas toujours facile, de la modernité. Cependant, les bornes chronologiques de notre sujet d'étude (1938-1981), qui se sont en quelque sorte élargies vu l'ampleur de la documentation et des sources, n'ont pas permis de mettre l'homme au centre de cette rénovation urbaine autant qu'il aurait été souhaitable et les recherches ont été centrées essentiellement sur les acteurs décisionnels de cette rénovation. Il serait important de mener une étude d'histoire sociale sur le vécu de la population pointoise face à ce changement de cadre de vie, que nous n'avons pu entièrement mener, ou encore sur le rôle des municipalités communistes aux Antilles françaises par rapport aux politiques de résorptions urbaines qui ont pu être conduites. Cette histoire reste donc à écrire. Dans un autre domaine, des recherches pourront être également réalisées sur l'histoire des ouvriers du bâtiment et des syndicats du BTP, à travers le prisme de la rénovation urbaine, mais également sur le rôle du ministère de l'Education nationale en tant que maître d'ouvrage, ou bien des entreprises métropolitaines et locales qui ont prospéré grâce à cette vaste opération d'urbanisme. Le rôle des architectes de la rénovation urbaine, tels que Raymond Creveaux, Jacques Tessier, mais également Gérard-Michel Corbin, dont les différentes œuvres restent méconnues en métropole et très peu valorisées à l'échelle locale, doit être rehaussé.
[1] Arch. Dép. de la Guadeloupe, Roméo Terral, Pointe-à-Pitre (1928-1938) : le virage vers la modernité, Mémoire de Master 2 soutenu en 2008 sous la direction du professeur Danielle Bégot, université des Antilles et de la Guyane. Roméo Terral, « La ville de Pointe-à-Pitre du cyclone de 1928 au départ du Gouverneur Félix Eboué (1938) : le virage vers la modernité ? », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, 2010, no157, p. 19-39.
[2] Fonds de l’Incendie, Fonds de la Série Continu, Fonds de la DDE, Fonds de l’ADUAG.
[3] Anne Pérotin-Dumon, La ville dans l’île, la ville aux îles, Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1650-1820, Paris, Karthala, 990 p.
[4] Bruno Kissoun, Pointe-à-Pitre : Urbanisme et architecture religieuse, publique et militaire XVIIIe-XIXe siècles, Pointe-à-Pitre, Editions Jasor, 2007, 263 p.
[5] ADG, PA 9, Bertrand (Anca), « Répercussions sociologiques de l’urbanisation », Parallèles, Edition hors-série, n°29, 1968, p.65.